Mécanismes de report des échéances des crédits aux particuliers

mercredi, 22 avril 2020

A la crise sanitaire il est désormais acquis que succédera une crise économique.

Dans ce contexte incertain, il semble pertinent de faire un point sur sa situation, à l’échelle personnelle ou celle du foyer, afin d’anticiper et gérer au mieux le risque de perte de revenus. 

Disons-le d’entrée, aucune mesure de report des échéances des emprunts souscrits par les particuliers n’a été prise par le gouvernement. 

La règle reste donc celle du remboursement de l’échéance à la date contractuellement convenue.

Certaines banques ont néanmoins ouvert la voie à un report d’échéances plus souple que d’habitude sur demande de l’emprunteur.

Néanmoins, je ne crois pas que l’on puisse tenir ces facilités comme pérennes, ce qui pose nécessairement la question de la gestion des échéances d’emprunt au-delà de la crise.

A – Report ou modulation conventionnelle des échéances de crédits

En matière de crédits aux particuliers (c’est-à-dire, de l’ensemble des crédits à la consommation et crédits immobiliers) plusieurs possibilités conventionnelles s’offrent à l’emprunteur.

Un nombre croissant de crédits prévoient déjà dans leurs conditions générales la possibilité de demander la modulation conventionnelle des échéances. Une première solution peut donc consister à faire baisser la mensualité à un montant soutenable, ce généralement depuis l’espace en ligne mis à la disposition du client.

D’autres contrats de crédits stipulent la possibilité d’un report pour une certaine durée. En pratique celle-ci dépasse rarement les six à douze mois et souvent n’est possible qu’après une certaine durée de remboursement du capital.

De plus, dans le silence du contrat, il est toujours possible pour les parties de s’entendre afin de décaler dans le temps le remboursement des échéances, ce qui engendrera en règle générale la rédaction d’un avenant.

Ces solutions semblent les plus naturelles, plusieurs inconvénients peuvent néanmoins être signalés :

  • sauf dans certains établissements depuis le début de la crise, le report est rarement à la discrétion de l’emprunteur et nécessitera souvent la validation et l’accord de la banque, cela se traduit donc par la nécessité de constituer un dossier pour motiver la demande de report, voire de rédiger un avenant au contrat de prêt : ces étapes vont généralement amener la banque à facturer le report à l’emprunteur
  • le report contractuel est en règle générale de l’ordre du semestre, plus exceptionnellement d’un an,
  • le report ne porte généralement que sur le paiement du capital, la somme empruntée continuera de produire des intérêts au taux contractuel ce qui peut se révéler cher en début d’amortissement, de plus, l’assurance de l’emprunt si elle existe est maintenue et donc due,

Si le report et la modulation conventionnelles semblent des solutions naturelles, il faut en interroger l’impact financier et garder à l’esprit qu’ils ne sont pas conçus pour traiter une baisse de revenus importante supérieure à un semestre.

B – Mise en œuvre d’une police d’assurance de crédit

La banque peut faire de la souscription d’une assurance une condition de l’octroi de crédit.

C’est à peu de choses près systématique pour un crédit immobilier, cela se rencontre également pour des crédits à la consommation au-delà d’un certain montant.

Lorsqu’il souscrit une police d’assurance, l’emprunteur choisit les risques pour lesquels il souhaite une couverture. Généralement les emprunteurs se limitent aux branches décès et PTIA (Perte Totale et Irréversible d’Autonomie). Néanmoins, les polices d’assurance peuvent contenir une branche perte d’emploi.

Il convient par conséquent de commencer par vérifier si celle-ci n’a pas été souscrite à l’acceptation du crédit.

Cependant, en pratique, on observe que la garantie perte d’emploi est rarement souscrite. De plus, celle-ci est très stricte dans sa mise en œuvre.

La très grande majorité des emprunteurs ne sont pas donc couverts pour ce risque.

C – Suspension judiciaire des échéances

Si les difficultés sont déjà existantes, une solution efficace consiste à saisir le juge d’une demande de suspension des échéances d’un ou de plusieurs emprunts.

Deux fondements cohabitent :

  • d’une part l’article 1343-5 du Code civil qui donne au juge le pouvoir général de suspendre le remboursement de toutes les sommes dues pour une durée n’excédant pas 24 mois.
  • d’autre part, l’article L. 314-20 du Code de la consommation, texte propre aux crédits aux particuliers, accorde au juge des contentieux de la protection, la possibilité d’accorder une suspension pour une durée n’excédant pas 24 mois également.

Il s’agit d’une procédure simple, rapide et en règle générale peu onéreuse.

Il est possible d’inclure dans la demande des crédits de nature différentes (ensemble des crédits à la consommation / crédits immobiliers).

Contrairement au surendettement qui impose de déclarer l’ensemble des dettes, rien n’impose à l’emprunteur de solliciter la suspension de l’ensemble de ses crédits. Aussi il est envisageable de laisser volontairement un ou plusieurs crédits en dehors de la demande afin de continuer de les rembourser. Cela est notamment pertinent si certains crédits arrivent dans l’intervalle à leur terme, ce qui permet de reprendre le remboursement après la suspension à un niveau de charge mensuelle moindre.

Il est rare, lorsqu’elle est fondée et justifiée sur le plan probatoire, qu’un débiteur soit débouté d’une demande de suspension des échéances de l’emprunt.

La suspension emporte ici aussi le maintien des cotisations d’assurance dues afin que le contrat d’assurance ne soit pas résilié et que l’emprunteur reste assuré en cas de sinistre.

Le juge peut également ordonner que les échéances suspendues ne produisent pas d’autre sommes que l’intérêt légal pendant la période de suspension, ce que vous ne proposera pas la banque dont l’intérêt est la rémunération.

Il s’agit de démarches que vous pouvez accomplir seul ou pour lesquelles vous pouvez vous faire assister par un avocat qui vous aidera à constituer un dossier et à soutenir votre cause devant le magistrat à l’audience au cours de laquelle ce dernier examinera votre situation.

Selon votre situation, l’aide juridictionnelle ou une assurance de protection juridique peuvent prendre en charge les frais de procédure.

Synthèse

La réponse à apporter n’est évidemment pas unique et est dépendante de la situation de chacun.

Il ne faut pas se laisser convaincre par des prétendus guides qui pourraient vanter ou déconseiller le recours à tel ou tel mécanisme, il faut avoir une vision exhaustive des possibilités et dans l’idéal effectuer une simulation pour avoir une approche fine des conséquences économiques de chaque choix.

Le présent vade mecum n’a donc pas valeur à s’appliquer tel quel et se contente de présenter l’ensemble des modalités aux fins de report ou modulation des échéances de crédit.

Néanmoins, se dessinent quelques tendances :

  • si les difficultés rencontrées sont légères ou passagères, la discussion avec la banque semble envisageable, il faut néanmoins garder à l’esprit que le report peut occasionner un coût pour l’emprunteur qui sollicite le report :
    • frais bancaires demandés par la banque pour l’étude de dossier,
    • frais financiers, le décalage produira des intérêts au taux contractuel ce qui peut rendre la charge financière du report onéreuse si le taux ou le capital restant dû sont importants,
  • si l’emprunt le permet de manière souple, la modulation des échéances à la baisse pourra souvent constituer une voie médiane,
  • si les difficultés rencontrées sont importantes mais limitées dans le temps et laissent espérer une meilleure situation sous 12 à 24 mois : il vaut mieux s’orienter vers un report judiciaire, le juge peut octroyer un délai emportant suspension du règlement des échéances et peut ordonner que celle-ci ne produira pas d’intérêts le temps du report,
  • si les difficultés rencontrées sont irréversibles et ne laissent espérer aucun retour à meilleure fortune, en fonction de l’état, l’ancienneté et la structuration de l’endettement, d’autres mesures plus drastiques (surendettement, liquidation judiciaire) sont à envisager. 

 

Thomas BOUDIER

Dernière modification le mercredi, 22 avril 2020 14:49