Violation du monopole bancaire par une société commerciale, le prêt n’est pas nul

samedi, 25 juin 2022

Dans une décision du 15 juin 2022 qui aura les honneurs du Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de juger que :  

Vu l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 :

 13. Aux termes de ce texte, il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel. Le seul fait qu'une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n'est pas de nature à en entraîner l'annulation.

 14. Pour prononcer l'annulation du volet relatif au prêt du contrat du 19 novembre 2012, l'arrêt retient que ces stipulations constituent une opération de crédit et que la société Fuchs a précisé pratiquer habituellement ce type d'opérations auprès de sa clientèle, cependant qu'en application de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, seuls les établissements de crédit sont autorisés à effectuer de telles opérations à titre habituel.

 15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 Cour de cassation - Chambre commerciale — 15 juin 2022 - n° 20-22.160

Quelques mots sur les faits d’espèce tout d’abord.

Une société spécialisée dans la fourniture de produits lubrifiants accorde à l’un de ses clients une avance d’un montant de 30.000,00 euros remboursable selon cinq annuités de 6.833,00 euros chacune. Il y a donc intérêts contractuels.

Assez logiquement, la présente est qualifiée de contrat de prêt par la Cour d’appel de Paris, l’opération génératrice d’intérêts ne se limitant pas au simple octroi de délais de paiement.

Retenant le caractère habituel du procédé par la société prêteuse, celle-ci retient la violation du monopole bancaire conformément aux dispositions de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier et partant annule la convention passée en contradiction de la loi.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation estime que : « Le seul fait qu’une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n’est pas de nature à en entraîner l’annulation »

En d’autres termes, la violation du monopole bancaire par un opérateur économique non agrémenté à ces opérations ne suffit par, en soi, à obtenir la nullité du contrat pour illicéité.

Resterait alors éventuellement le terrain du vice du consentement, probablement difficile voire impossible à rapporter entre professionnels.  

Doit-on expliquer la position rapportée par la nécessité de faire primer le pragmatisme en matière commerciale entre personnes morales qui plus est professionnelles ? Probablement, il n’empêchera cependant que l’absence de nullité est tout à l’avantage du prêteur qui peut encore prétendre au principal comme aux intérêts contractuels…

Telle solution est-elle extensible et transposable dans des rapports entre personnes physiques non commerçantes ?

Rien n'est moins certain, la Cour de cassation restant plus vigilante sur la question de l’illicéité des conventions violatrices de normes (en l’espèce, les règles déontologiques de la profession d’expert-comptable) comme le rappelle un arrêt du 6 avril 2022 de la 1ère Chambre civile.

6. Pour accueillir la demande de M. [N], après avoir admis l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage et constaté qu'il prévoyait des honoraires de résultat, l'arrêt retient que les règles de déontologie, dont l'objet est de fixer les devoirs des membres de la profession, ne sont assorties que de sanctions disciplinaires et n'entraînent pas, à elles seules, la nullité des contrats conclus en infraction à leurs dispositions et que la société Athmo invoque une contrariété à l'ordre public sans toutefois la caractériser ni même l'expliciter.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

On rappellera par ailleurs que la violation du monopole bancaire est passible de sanction pénales au titre de l’article 571-3 du Code monétaire et financier.

« Le fait, pour toute personne, de méconnaître l'une des interdictions prescrites par les articles L. 511-5 et L. 511-8 est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.

 Le tribunal peut ordonner l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

 

Thomas BOUDIER - Avocat au barreau de Lyon

Dernière modification le dimanche, 26 juin 2022 20:22