Par deux arrêts du 13 octobre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dit pour droit que la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon.
Ce faisant, elle a opéré un revirement de jurisprudence, en conformité avec le droit de l’Union européenne.
Dans la première affaire, une marque de machines à café avait été annulée en première instance pour atteinte à une marque antérieure. Le titulaire de la marque antérieure avait toutefois maintenu ses demandes concernant la contrefaçon de sa marque.
Dans la seconde affaire, la demande d’enregistrement d’une marque de vins avait été refusée par l’INPI. Néanmoins, là encore, le déposant de la marque seconde était poursuivi sur le terrain de la contrefaçon.
La Cour de cassation renvoie expressément à l’arrêt Daimler de la Cour de Justice de l’Union européenne du 3 mars 2016 et rappelle les conditions cumulatives pour apprécier l’existence d’une contrefaçon de marque :
- un usage dans la vie des affaires,
- fait sans le consentement du titulaire de la marque,
- d’un signe identique ou similaire, pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et
- qui, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte à la fonction essentielle de la marque de garantie d’origine.
L’arrêt Daimler portait sur la définition de la notion de « faire usage » d’un signe.
L’usage d’un signe est apprécié de façon assez large, par la loi et la jurisprudence, de simples préparatifs à la commercialisation de produits ou services pouvant notamment être considérés comme des usages contrefaisants.
Il faut en fait revenir à la condition d’ « usage dans la vie des affaires », notion qui a été définie dans l’arrêt Arsenal de la Cour de Justice des Communautés européennes du 12 novembre 2002.
Selon cette jurisprudence, il y a usage dans la vie des affaires « dès lors que l’usage se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé ».
Ainsi, la simple demande d’enregistrement d’une marque ne peut satisfaire à cette condition.
D’une part, la demande d’enregistrement, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou de services, ne peut constituer un usage dans la vie des affaires pour des produits ou services.
D’autre part, la simple demande d’enregistrement ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque d’indication d’origine ou de provenance. Le signe n’étant pas lié à des produits ou des services mis sur le marché, il n’y a en fait pas de risque de confusion possible dans l’esprit du public entre les différentes marques.
L’ancien article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle relatif à la contrefaçon de la marque ne précisait pas la condition d’ « usage dans la vie des affaires ».
Depuis la transposition du « Paquet Marques » en droit français, cette condition est désormais présente dans le Code de la propriété intellectuelle. Il fallait donc que la jurisprudence l’intègre pleinement.
Pourtant, avant cette réforme, la Cour de cassation rappelait déjà qu’il fallait apprécier la condition d’usage dans la vie des affaires.
Il semblait en fait exister une confusion entre la notion de contrefaçon et la notion d’atteinte à la marque, sur le fondement de laquelle la nullité d’une marque peut être demandée.
Si une contrefaçon constitue une atteinte à la marque, toute atteinte ne constitue pas forcément une contrefaçon.
Selon la nature de l’atteinte, la nature de l’action par le titulaire d’une marque sera différente :
- Lorsqu’il est face à un simple dépôt sans exploitation, le titulaire de la marque antérieure peut faire opposition dans un délai de deux mois à compter de la publication ou demander la nullité de la marque seconde, mais il ne peut pas agir en contrefaçon.
- Lorsqu’il y a commencement d’exploitation, le titulaire de la marque antérieure peut faire opposition ou agir en nullité et il peut également agir en contrefaçon.
Cass. Com., 13 octobre 2021, n°19-20.959
Cass. Com., 13 octobre 2021, n°19-20.504
Thomas BOUDIER
Suzanne GIGNOUX